La presse clandestine pendant la Seconde Guerre mondiale
Dès l’été 1940, et à l’exemple de 14-18, des individus décident de réaliser et de diffuser sous le manteau des écrits périodiques échappant ainsi à la censure de l’occupant. Ils le font au départ pour redresser le moral de la population et contrebalancer la propagande allemande. L’incitation à la résistance active viendra plus tard. Nombre de ces feuilles ont également pour objectif de réfléchir à l’organisation de la Cité et de proposer des projets de réforme. Souvent, cette presse se veut aussi un lieu de rencontre des volontés résistantes et à ce titre sert fréquemment de base aux mouvements en formation.
Quelques chiffres soulignent l’ampleur du phénomène : environ 675 feuilles répertoriées, plusieurs dizaines de milliers d’acteurs, dont plus de 12.000 reconnus officiellement, au moins 1.650 morts des suites directes de la répression. Ceci dit, cette production connaît d’importantes limites. D’abord, les feuilles ne paraissent en général qu’une fois par mois et ne comportent le plus souvent que quelques pages. Ensuite, elles sont rarement imprimées, ce qui ne permet pas un tirage très élevé (généralement entre 100 et 1.000 exemplaires le numéro). Enfin, les dangers liés à la réalisation et surtout à la distribution provoquent régulièrement le démantèlement des équipes. Ainsi, une vingtaine de clandestins à peine parviennent à traverser toute l’Occupation. De par sa précarité et la faiblesse de son tirage généralement peu accessible à la majorité de la population, le journal clandestin est par contre un formidable outil de communication et d’édification à l’intérieur ou aux abords du petit monde de la Résistance.
Les premières feuilles
Celles-ci sont souvent fondées par une petite et moyenne bourgeoisie francophone proche des cercles d’anciens combattants. L’apolitisme de ces pionniers explique que l’immense majorité de ces initiatives sont isolées, familiales ou limitées à une équipe restreinte. Le temps passant, ces feuilles ont tendance à disparaître ou à se dissoudre dans des ensembles plus vastes. Ces derniers restent soit indépendants des mouvements – c’est le cas notamment pour Churchill-Gazette (Liège), La Libre Belgique Peter Pan (Bruxelles) ou De Vrijschutter (Halle) –, soit en sont ou en deviennent le porte-parole – L’Insoumis pour le mouvement du même nom à Bruxelles, Steeds Vereenigd-Unis Toujours pour la Witte Brigade à Anvers, La Vérité pour l’Armée de la libération à Liège et La Voix des Belges pour le Mouvement national belge à Bruxelles. Orientés presque toujours à droite, ces journaux évitent pourtant le plus souvent de se revendiquer d’un parti politique précis.
Socialistes et communistes
La gauche antifasciste constitue l’autre grand vivier de la presse clandestine. Mais au départ les initiatives sont pour le moins limitées, si l’on excepte la création dès le début de l’été 1940 du Monde du Travail socialiste à Liège. Les choses changent peu à peu en 1941. Du côté socialiste, une structure solide se met en place qui permet l’édition, outre du Monde du Travail, de quelques clandestins à assez gros tirage dont surtout Le Peuple à Bruxelles. L’évolution est encore plus spectaculaire chez les communistes. Désireux après juin 1941 de susciter un vaste élan populaire qui devrait aider à chasser l’occupant du pays, ils accordent une importance fondamentale à la propagation d’une presse destinée à leur permettre de diffuser leurs idées tout en servant d’épine dorsale au mouvement de masse lancé à l’automne 1941, le Front de l’indépendance.
Le résultat des efforts consentis par le PCB est impressionnant : aux 97 organes propres, dont l’organe national Le Drapeau rouge créé en février 1941, viennent en effet s’ajouter 248 feuilles en rapport direct ou indirect avec le FI, dont le porte-parole du mouvement Front, lancé en octobre 1943. Ceci dit, à partir de cette même année, la direction de certaines feuilles locales et régionales du mouvement passe aux mains de démocrates-chrétiens, libéraux et surtout socialistes. En outre, si ces journaux sont très présents à Bruxelles et en Wallonie, ils sont bien moins nombreux en Flandre.
Différences entre Flandre, Bruxelles et Wallonie
La sous-représentation du nord du pays et des clandestins d’expression néerlandophone vaut d’ailleurs pour l’ensemble de la presse prohibée. Ainsi, à peine 25,7 % des journaux sont écrits en néerlandais contre 71,5 % en français. La répartition des lieux d’édition atteste en outre de l’importance considérable de la capitale puisque 31,8 % des journaux y sont réalisés, contre 42,7 % à la Wallonie et 25,5 % à la Flandre.
Radiographie de la presse clandestine
Œuvre d’une classe moyenne urbaine instruite, mais le plus souvent éloignée avant-guerre des cercles du pouvoir, la presse clandestine se répartit, sur le plan du contenu, en deux grands types de feuilles. Les premières, généralement rattachées au PCB et au FI, poussent à l’action directe et prônent une répression féroce à l’encontre des collaborateurs. Elles s’expriment par contre relativement peu sur le devenir de la société. Les secondes, qui allient les journaux de la gauche modérée et de la droite, sont plutôt favorables à des formes moins violentes de résistance (aide aux illégaux, récolte de renseignements) et font confiance à la justice d’après-guerre pour mener à bien une épuration ferme mais mesurée. Par ailleurs, elles formulent diverses propositions quant à l’avenir. Sur ce dernier point, les positions divergent entre organes conservateurs et socialistes : les premiers réclament un renforcement du pouvoir exécutif au détriment du législatif tout en ne souhaitant pas de changements fondamentaux sur le plan économique et social, alors que les seconds sont opposés à des réformes politiques et partisans de profondes mutations économiques et sociales.
Principale voix de l’opinion publique sous l’Occupation, la presse clandestine ne vit cependant que peu de ses revendications aboutir, notamment à cause de l’incapacité de la Résistance à influer sur les évènements politiques dans l’immédiat après-guerre.
Fabrice Maerten
Bibliographie
- José Gotovitch, “Photographie de la presse clandestine de 1940”, in Cahiers d’histoire de la Seconde Mondiale, n°2, 1972, p. 113-156 [in het Nederlands “Beeld van de klandestiene pers in 1940”, in Bijdragen tot de Geschiedenis van de Tweede Wereldoorlog, n°2, 1972, p. 223-267].
- José Gotovitch, “Presse clandestine en Belgique, une production culturelle?”, in François Marcot & Bruno Curatolo (dir.), Ecrire sous l’Occupation ; du non-consentement à la Résistance. France-Belgique-Pologne 1940-1945, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2011, p. 97-114.
- José Gotovitch (dir.), Guide de la presse clandestine de Belgique, Bruxelles, Centre de Recherches et d'Etudes historiques de la Seconde Guerre Mondiale, 1991, IV + 214 p.
- Fabrice Maerten, article « Presse clandestine », in Paul Aron & José Gotovitch (dir.), Dictionnaire de la Seconde Guerre mondiale en Belgique, Bruxelles, André Versailles éditeur, 2008, p. 343-345.
- George Tanham, Contribution à l'histoire de la résistance belge. 1940-1944, Bruxelles, Presses Universitaires de Bruxelles, 1977, p. 105-144.