La presse censurée pendant la Grande Guerre

Avec l’invasion progressive de la Belgique par les troupes allemandes, la presse belge cesse son activité au gré des villes conquises par celles-ci. Les opérations militaires perturbent naturellement le travail des journalistes, mais c’est surtout l’installation du régime d’occupation allemand qui provoque l’arrêt des rotatives. Le contrôle imposé par l’envahisseur n’était pas tolérable pour la grande majorité des rédactions. Dans certaines situations exceptionnelles, cependant, l’autorité militaire allemande encourage le maintien de certains titres comme L’Ami de l’Ordre à Namur ou le Vooruit à Gand. Des publications moins politiques subsistent aussi comme le tout jeune 1914 illustré qui continue de proposer des photographies du conflit jusqu’au début de l’année 1918.

Les premiers mois d’occupation

La cessation de la parution des principaux journaux belges semble donc plutôt être le fait des directions que de l’occupant qui cherche à développer des moyens de communication efficace vers la population occupée. Quant aux organes qui continuent de paraître ou qui apparaissent à partir de l’automne 1914, ils sont soumis à une censure sévère exercée par le pouvoir militaire. Cette mission est, ensuite, assurée par une administration civile, conformément à l’arrêté du 13 octobre 1914. Cette action est cependant faiblement organisée et n’est pas soumise à une conduite centralisée uniforme.

Un contrôle imposé

Cette lacune est réparée progressivement à partir du début de l’année 1915. Dans le contexte général du conflit, le contrôle de la presse prend de l’ampleur. Il devient un enjeu plus important dans le cadre d’une guerre des propagandes qui se développe au tournant des années 1914-1915. Un organe central de contrôle est créé en janvier 1915, puis est intégré au sein du département politique du Gouvernement Général de la Belgique. Celui-ci est dirigé par Oscar von der Lancken-Wakenitz, dont les rapports d’activité ont été publiés en 2004. Ceux-ci révèlent les axes de la politique de presse mise en place par l’occupant à partir du début de l’année 1915.

L’information publiée en Belgique occupée ne pouvait donner de nouvelles militaires défavorables à l’Allemagne et à ses alliés, ne pouvait renseigner sur les actions du gouvernement belge en exil et devait absolument éviter de communiquer des articles susceptibles « d’entretenir ou de renforcer la haine de la population contre l’Allemagne ». L’application de ces principes était confiée à des bureaux de censure fonctionnant au sein des différentes rédactions. D’autre part, celles-ci sont contraintes de recourir aux bulletins d’information publiés par une agence de presse hollandaise, financée par les autorités allemandes, pour obtenir des dépêches sur le déroulement de la guerre.

Un succès massif

Tout au long de la guerre, le Gouvernement général utilise la presse censurée pour défendre ses buts de guerre. De nouveaux journaux sont créés surtout pour donner une audience plus large aux actions des activistes flamands. Près de 500.000 exemplaires paraissent en Belgique occupée au printemps 1915. Ils sont soumis à une censure de mieux en mieux organisée, mais qui ne fonctionne pas de manière uniforme. Si les organes de presse les plus dociles suivent à la lettre les consignes du département politique, d’autres titres refusent de traiter de certaines questions. C’est le cas de journaux francophones qui s’abstiennent de communiquer au sujet de la séparation administrative de la Belgique à partir de 1917. Parmi les quotidiens les plus lus, la presse bruxelloise est la plus importante avec le Bruxellois et La Belgique qui paraissent chacun à plus de cent mille exemplaires. A Anvers, les feuilles activistes (Het Vlaamsche Nieuws, Antwerpsche Courant) sont publiées en plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires. Pour la Wallonie, seul l’Ami de l’Ordre obtient une audience relativement importante.

Chant du cygne

La presse censurée rencontre de plus en plus de difficultés à partir du début de l’année 1918. L’augmentation des coûts de fabrication entraîne une augmentation des prix et une diminution du nombre de pages publiées. Certains titres disparaissent à cause de ces problèmes matériels. L’armistice donne, ensuite, un coup fatal à la plupart des journaux ayant transigé avec la censure allemande. Leur direction et leur personnel subissent, en de nombreux endroits, la colère de la population libérée, avant d’être traduits en justice devant les tribunaux chargés de poursuivre les inciviques.

Axel Tixhon

Bibliographie

  • Michaël Amara et Hubert Roland, Gouverner en Belgique occupée. Oscar von der Lancken-Wakenitz. Rapports d’activité 1915-1918. Edition critique, Bruxelles, Pieter Lang, 2004.
  • Hubert De Smet, De gecensureerde dagbladpers in België gedurende Wereldoorlog I, Gent, RUG, 1974.
  • José Gotovitch, Contribution à l’histoire de la presse censurée. 1914-1918, Mémoire de licence inédit, Bruxelles, ULB, 1961.